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La vie en bleu #3 – La filiere Comte, qui gagne combien ?

Le point de départ de cet article est une question qui me préoccupe par-dessus tout : est ce qu’un producteur de fromage, un éleveur laitier, vit bien ? D’un point de vue financier. Qui gagne combien ? Aux différentes étapes du fromage, de l’éleveur laitier jusqu’à nous commerçant crémier fromager qui vous vendons ces bons fromages.

Pour y répondre j’ai pris un cas concret : le Comté. J’ai écrit cet article après des échanges passionnants avec Pascal Bérion – enseignant-chercheur à l’Université de Franche Comté et éleveur laitier à Refranche (Doubs) avec son frère Louis-David – et Bertrand Henriot, directeur technique de l’affineur Juraflore (famille Arnaud).

Spoiler : à la fin de l’article je vous parle donc de sous-sous 💶 💰, la seule chose qui vous intéresse bien sûr. Mais franchement lisez l’histoire avant, elle vaut au moins aussi cher !

Ce qui me plait aussi dans cette histoire, comme souvent dans le fromage, c’est qu’elle est intimement imbriquée avec l’Histoire : batailles, volontés politiques, schémas industriels, protection des intérêts du pays face aux Suisses, système social… c’est ça aussi l’histoire du Comté !


LES PILIERS DE L’ORGANISATION

Je précise que je ne suis pas payé pour faire la promotion du Comté ! Mais franchement, la manière dont cela s’est structuré au fil du temps est vraiment remarquable.

Le Comté est un fromage au lait cru – produit par les vaches de races Montbéliarde et Simmental françaises – à pâte pressée cuite. Son terroir est le massif du Jura, une région de moyenne montagne qui s’étend sur le Doubs, le Jura et l’Ain et quelques communes de Saône et Loire.

D’entrée de jeu, voici l’organisation à 3 acteurs sur laquelle repose la filière, ça vous donnera des repères pour l’histoire qui suit :

  • L’éleveur (on en compte 2400 en 2021) : lui élève ses vaches, entretient le terroir dans lequel elles pâturent, et les traient (2 fois par jour, évidemment… je précise pour nos lecteurs qui n’ont pas grandi à la campagne et qui sont absolument bienvenus pour autant !).

  • Le fromager (140 fromageries) : lui il récupère le lait et fabrique le fromage. Il fait ça dans un lieu qu’on appelle la fruitière.

  • L’affineur (14 maisons) : lui il ne fait pas grand-chose et gagne beaucoup d’argent 😉. C’est un peu le banquier de l’histoire : il place bien les fromages (dans une cave d’affinage) et attend tranquillement qu’ils prennent de la valeur avec le temps ! Bon, il suffit de visiter les caves d’un affineur ou de lire l’article jusqu’au bout pour réaliser que ce que je viens dire est une mauvaise caricature / blague. C’est aussi l’affineur qui gère la commercialisation qui suit. Pssst : lieux magiques à visiter (= anciens forts militaires) au fort des Rousses ou au fort St Antoine

Cette « séparation des pouvoirs » est donc systématique (vous ne trouverez jamais un éleveur qui fabrique le fromage (fromage qui n’est donc pas fermier par définition : révisez la définition du fromage fermier avec La Vie en Bleu#1 et est au service de leurs Biens Communs (ils le disent comme cela, c’est joli) : la vache et le fromage.


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L’éleveur

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Le Fromager

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L’affineur


XIIIe SIECLE : LES PREMIERES FRUITIERES

D’où vient cette organisation ? Remontons l’histoire pour comprendre.

Même si ça n’a rien à voir avec cette organisation, sachez, pour en parler à Margarita et Regina, que Jules César est passé par là (territoire appelé alors la « Séquanie ») lors de la conquête des Gaules où il a été étonné de trouver des « fromages de grande dimension » dont il a ensuite organisé le commerce jusqu’à Rome…bref l’origine de la pizza 4 fromages.

Dernière parenthèse, selon des recherches très sérieuses de l’archiviste et archéologue André Berthier, la bataille « d’Alesia » (-52 Av JC, je précise pour nos lecteurs, bienvenus, qui auraient sauté la classe de CM1) se situerait en fait à Chaux-des-Crotenay dans le Jura ou à Alaise dans le Doubs et non en Côte d’Or…je laisse les experts et les locaux en débattre.

La fabrication de fromage, type Comté (à l’époque il ne porte pas du tout ce nom) remonterait même à bien avant Jules César (fouilles archéologiques à l’appui) mais il faut finalement attendre le XIIIe siècle pour que tout ça commence à s’organiser.

Comment est-ce qu’on s’organise ?

Jusque là l’éleveur fabrique lui-même son fromage dans son « chalet ». En 1273, apparait la première fruitière à Déservillers (facile à retenir, ça rime). L’idée : un lieu pour mettre en commun le « fruit » (le lait) du travail de plusieurs éleveurs et le faire « fructifier » (d’ailleurs à l’époque on parle de « fructerie » et non de fruitière). L’éleveur apporte lui-même le lait à la fruitière, c’est le « lait de coulée », par opposition au « lait de ramasse » (un camion fait la tournée des éleveurs pour collecter le lait) qui est devenu la norme depuis les années 1990.

Pour l’instant la fruitière affine, l’affineur n’existe pas encore.


FIN DU XIXe SIECLE : DES AFFINEURS PUIS UNE PROFESSIONALISATION DE LA FILIERE

Grand bond en avant, on file tout droit à la fin du XIXe siècle.

Cette période de ~130 ans c’est l’histoire de 2 crises de la filière entrecoupées d’une période de développement serein.

1e Crise (~1860-1900) c’est la grande battle France vs Suisse. Je suis bien triste de vous annoncer que bien avant l’Euro 2020-2021 on se fait déjà battre plate couture (ps : origine de l’expression c’est assez marrant). Effectivement, nos amis Suisses découvrent et maitrisent bien avant nous les nouvelles techniques, en particulier celle de la machine à vapeur (ndlr : c’est la première révolution industrielle, pour ceux qui ont séché les cours de 4ème). On est à la traine et la qualité du Gruyère de Comté ne supporte pas la comparaison avec le Gruyère Suisse. Après un temps d’hésitation, 2 changements importants s’opèrent en Franche Comté

  • Création des écoles de laiterie (ancêtre des ENIL) pour développer la connaissance et le savoir-faire des fromagers
  • Apparition des affineurs dans l’intention de spécialiser les métiers. D’un côté le fromager qui se concentre sur la fabrication et sa montée en compétence, de l’autre l’affineur dont le rôle est de valoriser le fromage en 2 étapes : expertise d’affinage et développement de la commercialisation (notamment avec le début des exportations).

1900-1970 : malgré les 2 guerres qui marquent cette période, le Gruyère de Comté poursuit tranquillement son bonhomme de chemin (2 dates importantes : 1945, création du Syndicat de défense du gruyère de Comté ; 1958,  apparition de l’AOC « Comté » et conjointement on abandonne l’appellation Gruyère pour le Comté.

1970 : nouvelle crise. La volonté du gouvernement est claire : industrialiser la production de fromage en France. En particulier, pour le Comté, elle vise à regrouper la fabrication dans de grosses fruitières, dites « Centrales », transformant minimum 20 000 litres de lait/jour. Ce qui conduirait à la disparition de 80% des fruitières. La filière Comté et les coopératives laitières s’opposent à cette vision qui détériorerait la qualité et la typicité du fromage. La « résistance » s’organise, la production stagne avant que se mette en place entre 1981 à 1992, la « fusion villageoise » : des ateliers modernisés de taille moyenne mais bien plus modestes et artisanaux que le modèle de la centrale. La bonne taille pour combiner qualité-typicité – grâce notamment à une collecte de lait dans un rayon de 25 km maximum, ce qui est toujours en vigueur aujourd’hui – et efficacité.

Et la résistance ça paye (eh oui jeunes lecteurs, battez vous pour vos idées 😉) ! Depuis la fin des années 1980, la production de Comté n’a cessé d’augmenter tout en assurant une qualité constante : de 32 K Tonnes en 1983 à 72 K Tonnes en 2020 quand dans le même temps la production de Beaufort est restée stable (4 à 5 K Tonnes) et celle de Roquefort a chuté (22 à 17 K Tonnes). Cette production supplémentaire de Comté est surtout due à un transfert de volumes d’Emmental de la région vers du Comté plus qu’à une augmentation globale de la production. Le Comté est aujourd’hui le fromage AOP le plus consommé en France.


Evolution de la filière Comté
Evolution de la production de Comté : période « gruyère de Comté » – Crise des Années 70/80 – Progression constante depuis les années 1990

REPARTITION DE LA VALEUR JUSQU’AU CONSOMMATEUR FINAL

Ok, donc la filière s’est organisée pour que chacun soit spécialisé sur son métier et puisse réunir les meilleures conditions pour le faire. Ok, ça marche bien. Financièrement, c’est bien aussi ? Prenons un exemple concret : comment se réparti la valeur d’1 kg de Comté 12 mois d’affinage que l’on vous vend 27€ TTC ?


Eh bien voilà, donc sur les 25,6€ HT :

  • 12,8€ sont pour Monbleu. Ohla, ohla, je vous vois venir…vous ne pensez quand même pas que c’est ce que je me mets dans la poche ? Salaires, loyers, etc…je vous raconte tout dans un prochain épisode (#teaser1), promis. Sachez déjà qu’appliquer un multiple x 2 (Prix de Vente / Prix d’Achat) est un classique du métier. Et ici, la chaîne est optimisée car on travaille sans intermédiaire.

  • 11,8€ sont pour la filière Comté dont 31% pour l’affineur, 14% pour la fruitière et 55% pour l’éleveur.

Là c’était un exemple, basé sur du Comté 12 mois d’affinage. En réalité, l’affinage moyen des Comté commercialisés par les affineurs est de 9 mois. Donc le 11,8€ pour la filière Comté (sur l’exemple du Comté 12 mois) est en réalité en moyenne 10€. Précisément, chaque mois l’ensemble des affineurs publient leurs chiffres de vente (quantité et prix) et les éleveurs sont tous rémunérés sur la base du prix moyen calculé (ex : Mars 2021, volumes vendus = 5 500 Tonnes au prix moyen de 9,78€/ kg). C’est le système dit de moyenne pondérée qui est en vigueur dans la filière Comté depuis les années 1970.

Sur notre exemple, l’écart entre 11,8€ et 10€, fruit de l’affinage, est un gain supplémentaire pour l’affineur. L’ensemble éleveur + fruitière touchera toujours 8,2€ (6,5€ + 1,7€).

Donc 6,5€ pour l’éleveur pour chaque kilo de Comté vendu. Alors comment vit-il avec cela ? Certainement mieux qu’un éleveur laitier « moyen » car la filière a bien valorisé le produit. Réponse plus détaillée dans un prochain épisode (#teaser2), laissez moi le temps de creuser, c’est du sérieux ! 

J’ai quand même envie de vous partager ces mots de Bertrand et Pascal quand je leur demande « est ce que vous êtes contents de cette organisation ? » : « ah oui, c’est un système vertueux qui est une incitation à la qualité », « c’est une rente collective territoriale ».

Et vous qu’en pensez-vous ?

Damien


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Commentaires : 3

  • Jean-François

    Passionnant ! Merci beaucoup. Petite question : des éleveurs ont-ils tentés de fabriquer, voire affiner eux-mêmes (comme on le voit parfois dans des filières "viandes", ou dans d'autres AOP fromagères), et cette séparation des rôles est-elle définie par l'appellation ?

    • Damien

      Merci Jean-François. Un éleveur ne peut fabriquer son Comté tout seul. C'est inscrit dans le cahier des charges "par respect pour les usages locaux, loyaux et constants" de ne "fabriquer qu'à partir de laits de plusieurs exploitations et troupeaux". Ee pratique, au moins 3 troupeaux. La séparation des rôles est établie par la règlementation mais, une fruitière peut aussi affiner du fromage et un affineur peut avoir un ou des ateliers de fabrication, soit en propre, soit en participation. Je profite de cette réponse pour remercier à nouveau Pascal Berion...je parais bien sachant mais c'est lui qui l'est !

  • denis

    merci pour ce 3ème épisode PS : voici le bon lien pour en savoir plus : https://www.expressio.fr/expressions/vaincre-battre-a-plate-s-couture-s

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